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Almorò Rubin de Cervin

Le responsable de la réglementation et de la surveillance bancaires à la DG FISMA s’exprime sur le paquet bancaire de l’UE et la récente crise.

date:  31/05/2023

Almorò Rubin de Cervin est à la tête du service chargé de la réglementation et de la surveillance bancaires à la direction générale de la stabilité financière, des services financiers et de l’union des marchés des capitaux de la Commission européenne. Il évoque la crise qui a frappé récemment le secteur bancaire, l’état d’avancement des négociations sur le paquet bancaire et le rôle que joue la Commission européenne à cet égard.

Nous avons récemment assisté à une crise bancaire aux États-Unis et en Suisse. Quel en a été l’impact sur le secteur bancaire de l’UE ? Et quels enseignements en tirez-vous pour celle-ci ?

Le premier enseignement est un rappel : les banques sont exposées à des risques en raison du rôle qu’elles jouent dans notre économie ; elles fournissent des crédits et des liquidités (dépôts) aux ménages et aux entreprises. En conséquence, les banques sont vulnérables face aux pertes liées à ces risques et aux fuites de liquidités. Il importe donc de disposer d’une réglementation saine, d’une surveillance rigoureuse et de filets de sécurité publics adéquats. Cela s’applique particulièrement dans le cas des États-Unis, où d’aucuns, comme le Fonds monétaire international (FMI) dans son évaluation récurrente du secteur financier (« PESF »), se posent des questions quant à l’adéquation de la réglementation et de la surveillance, dont l’application était limitée pour certaines de leurs banques, qui sont en fait assez grandes. Et les États-Unis sont en train d’en tirer les leçons. Le cas suisse soulève des questions différentes, parce qu’il s’agissait d’une très grande banque, l’une des banques d’importance systémique mondiale (BISm), qui était soumise à toutes les exigences en matière de ratios de fonds propres et de liquidité — et qui était solide, du moins sur le papier. Toutefois, son modèle économique présentait un certain nombre de problèmes. Face aux turbulences sur les marchés financiers provoquées par des défaillances bancaires aux États-Unis, elle a été confrontée à d’importants retraits de dépôts en l’espace d’une semaine, ce qui l’a contrainte à liquider ses portefeuilles à perte, avant d’être rachetée par son concurrent.

Du point de vue de l’UE, le principal enseignement est que deux choix que nous avons faits au cours des dix dernières années se sont avérés extrêmement importants. Le premier a été d’appliquer les normes internationales de Bâle à toutes les banques, en évitant d’établir des distinctions entre les différentes catégories de banques comme aux États-Unis. Nous disposons ainsi désormais d’un système bancaire beaucoup plus stable dans l’ensemble. Deuxièmement, nous avons placé la surveillance entre les mains du mécanisme de surveillance unique (MSU), afin de garantir une surveillance saine et cohérente dans l’ensemble de l’UE. Ce choix s’est également révélé très important, car il a permis aux banques d’être particulièrement fortes en matière de liquidité, ainsi qu’en ce qui concerne la gestion du risque de taux d’intérêt, qui est très importante dans le contexte actuel de hausse des taux.

D’aucuns aux États-Unis ont déclaré que ce qui s’est passé avec la Silicon Valley Bank et la Signature Bank était en partie dû au démantèlement de la réglementation Dodd-Frank sous la présidence Trump. Quel est votre avis sur la question ?

Les autorités américaines sont en train de procéder à une évaluation et leur analyse est attendue pour le début du mois de mai. Il est difficile d’attribuer toute la responsabilité à un seul élément. La surveillance bancaire aux États-Unis est un cadre extrêmement complexe. Plusieurs autorités de surveillance entrent en jeu, et les règles sont appliquées différemment en fonction de la taille de la banque concernée. La question de la gouvernance se pose également. Dans les deux cas, qu’il s’agisse de Silicon Valley ou de Signature, il y avait également des problèmes de concentration des clients et de manque de diversification de la base de financement des dépôts. En outre, une grande partie des dépôts de ces deux banques n’étaient pas assurés. La question est également celle du modèle économique. Je dirais donc qu’il s’agit plus probablement d’une combinaison de facteurs plutôt qu’une seule cause profonde, même si la déréglementation constitue probablement une partie du problème.

Je pense que la situation est différente dans l’UE. Premièrement, le modèle économique des banques n’est généralement pas aussi extrême. Ici, les banques ne sont pas tellement dépendantes des dépôts des entreprises. Ces dépôts représentaient 96 % de l’ensemble des dépôts de la Silicon Valley Bank, alors qu’en Europe, ce chiffre fluctue entre 60 et 70 %, voire moins. Et les dépôts des entreprises sont moins concentrés et moins volatils. De manière générale, les dépôts de détail sont également beaucoup plus stables. Les banques sont bien réglementées et doivent respecter des exigences en matière de liquidité, tant à court terme qu’à moyen terme. Elles font également l’objet d’une surveillance étroite, y compris en ce qui concerne leur exposition aux risques de taux d’intérêt. Il s’agit d’un risque concernant lequel le MSU a mené un exercice spécifique l’année dernière. Enfin, des tests de résistance sont organisés régulièrement. L’exercice de 2023 organisé à l’échelle de l’UE est justement en cours, et ses résultats seront publiés en juillet. On ne peut jamais dire avec une certitude absolue que « cela ne se produirait pas ici », mais, dans l’ensemble, tous ces éléments font que les banques européennes se trouvent dans une situation favorable. Et je pense que cela a été clairement montré par les analystes et compris par les marchés.

L’UE a adopté une série de textes législatifs depuis la crise financière mondiale de 2008. Quel est l’état d’avancement des négociations sur le paquet bancaire de 2021 ? Et quel est le rôle de la Commission ?

Il convient de constater d’abord que les récentes turbulences ont montré l’importance d’une bonne surveillance et d’une bonne réglementation des banques, ainsi que l’importance des normes internationales. Cette constatation devrait donc nous inciter à tenter de parvenir à un accord assez rapidement. Nous espérons y parvenir d’ici le mois de juin, ce qui permettrait une période de mise en œuvre de 18 mois. Et une entrée en application le 1er janvier 2025, parallèlement à d’autres juridictions.

Dans les précédents paquets bancaires, nous avons considérablement durci la réglementation concernant les fonds propres, la liquidité, l’effet de levier et les grands risques. Avec ce train de mesures, nous cherchons davantage à améliorer la manière dont les banques mesurent le risque, de manière cohérente — comment elles mesurent le risque de crédit, le risque opérationnel et le risque de marché. Cela implique de nombreux changements : dans la manière dont les banques accordent des prêts, dont elles gèrent leur risque opérationnel et dont elles mesurent leur exposition aux risques à court terme liés à la volatilité des marchés. L’élément principal est une mesure technique appelée « plancher de fonds propres ». Le plancher de fonds propres est une mesure qui fixe une limite inférieure (« plancher ») aux exigences de fonds propres que les banques calculent lorsqu’elles utilisent leurs modèles internes (« fonds propres ») et qui est introduite pour réduire la variabilité excessive des exigences de fonds propres des banques calculées à l’aide de ces modèles. Ceux-ci ont permis aux banques de déterminer leurs fonds propres en fonction de données dont elles disposent sur leurs contreparties et leurs risques de défaillance. L’introduction du plancher de fonds propres réduit la différence entre les banques utilisant des approches normalisées et celles utilisant des modèles internes. Cela a une incidence sur un nombre relativement restreint de banques : en particulier les grandes banques, qui utilisent ces modèles. L’introduction de ce plancher est largement admise. Toutefois, nous ne sous-estimons pas son impact, notamment sur les crédits hypothécaires et les entreprises, et nous avons donné un peu plus de temps aux banques, pour qu’elles puissent s’adapter, et aux entreprises, pour qu’elles puissent obtenir de meilleures notations, puis être pondérées en fonction du risque en conséquence.

Ce sont là les principaux éléments concernés. Mais nous avons également inclus dans le train de mesures un certain nombre de propositions concernant les aspects liés à la surveillance en matière de risques ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), par exemple en exigeant des banques qu’elles mettent en place des plans de transition et donnent aux autorités de surveillance les moyens de veiller à ce que les banques soient organisées pour gérer leurs risques liés au changement climatique et pour favoriser une transition écologique ordonnée. Des propositions visent également à améliorer l’évaluation du personnel d’encadrement, tandis que d’autres portent sur des aspects liés à la surveillance, tels que la consolidation prudentielle et les pouvoirs de sanction. Enfin, une proposition vise à mieux encadrer les succursales hors UE — de « pays tiers » — et les opérations dans l’UE.

S’agissant de cette disposition relative aux succursales de pays tiers dans le paquet bancaire, pourriez-vous préciser ce qui a été fait par rapport au paquet précédent — et si cette disposition aurait changé quoi que ce soit concernant les récents événements survenus à l’étranger ?

Ce qui s’est passé à l’étranger, constitue un rappel du risque de contagion lié aux banques actives à l’échelle internationale. Il y a eu contagion parce que la banque concernée était également présente à l’étranger. Sans cette présence, le canal de transmission aurait été plus lent et moins important. C’est donc un rappel important. Il est également important de noter qu’une succursale — comme une filiale — n’est jamais plus solide que sa société mère. En cas de défaillance de la société mère, il est probable que la succursale connaisse le même sort, tout comme sa filiale. Il s’agit donc de rappeler les risques qui découlent de l’activité bancaire transfrontière et de la présence bancaire.

Aujourd’hui, nos propositions consistent à faire deux choses. Il s’agit premièrement de mieux encadrer la surveillance et la réglementation des succursales de pays tiers. Nous proposons de maintenir leur surveillance et leur agrément au niveau national, mais aussi de veiller à ce que toutes les autorités de surveillance disposent d’informations sur les activités des succursales. En effet, l’autorité de surveillance de la filiale du même groupe bancaire doit savoir ce que font les succursales de ce groupe bancaire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

La deuxième chose est une clarification juridique de quelque chose qui est déjà effectif, mais qui n’a pas été clairement défini : si vous souhaitez fournir des services bancaires dans l’UE, vous devez y disposer soit d’une filiale, soit d’une succursale. C’est la même chose partout dans le monde, mais nous voulons le mettre noir sur blanc, car il est apparu au cours du processus lié au Brexit qu’une certaine incertitude subsistait à cet égard.

Le rapport sur le MSU a également été publié récemment. De quoi s’agit-il exactement et quelles sont ses conclusions ?

Le rapport sur le MSU évalue le fonctionnement de celui-ci, ce que la Commission doit faire régulièrement en vertu du règlement relatif au MSU. Nous avons réalisé cette évaluation en effectuant des recherches documentaires, mais aussi en parlant avec le MSU, les 21 autorités nationales compétentes au sein du MSU et les six autorités compétentes en dehors de l’union bancaire. Nous avons demandé leur contribution concernant le fonctionnement du MSU. Nous avons également parlé à toutes les associations professionnelles au niveau de l’UE. Toutes les contributions reçues sur le fonctionnement du MSU ont été globalement très positives. Il est considéré comme efficace et crédible. Il convient de noter le travail qu’il a accompli pour veiller à la cohérence de la surveillance. La coopération avec les autorités des États membres participants ainsi qu’avec les six autorités n’appartenant pas à l’union bancaire a également été saluée. L’évaluation montre aussi que le MSU a bien réagi aux crises, par exemple à la crise de la COVID-19 et aux événements en Ukraine.

Dans l’ensemble, le MSU s’avère être une instance de surveillance mature, solide et crédible.  La crise bancaire américaine de mars a confirmé qu’une surveillance aussi solide est un atout très important pour le système bancaire européen et pour la stabilité financière de l’UE.

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