Interview avec Olivier Guersent

date: 23/09/2015
Le 1er septembre, Olivier Guersent est devenu directeur général de la DG pour la stabilité financière, les services financiers et l'union des marchés des capitaux, après le départ de Jonathan Faull, qui va désormais conduire la Task Force nouvellement créé par la Commission et chargée des questions stratégiques relatives au referendum au Royaume-Uni. De 2010 à 2014, M. Guersent a été le chef de cabinet de Michel Barnier, ancien Commissaire européen en charge du marché intérieur et des services, avant de devenir directeur général adjoint responsable des services financiers en juillet 2014. Il a également longuement travaillé dans le domaine de la politique de concurrence, d'abord dans le gouvernement français puis à partir de 1992 à la Commission. Nous lui avons parlé de son travail et des efforts de la Commission visant à rendre les marchés financiers plus résistants et mieux régulés, et ce qu'il considère comme les principaux défis et priorités pour les années à venir.
M. Guersent, vous avez été étroitement engagé dans les efforts de la Commission pour réglementer le secteur financier après la crise financière. Avons-nous achevé ce travail visant à rendre les marchés financiers plus résistants et mieux régulés? Quelles priorités voyez-vous pour les prochaines années?
Non, je ne crois pas du tout que le travail soit terminé sur la mise en œuvre de l'agenda de régulation. D’abord une partie de l’agenda du G20 que nous avons suivi depuis 2008 n’est pas encore complètement finalisée au niveau international, et donc pas complétement mise en place même si l’Union européenne est en avance sur la plupart des juridictions dans le monde. La partie bancaire est à peu près finalisée. La partie assurancielle au niveau du G20 est en cours de finalisation pour les assureurs systémiques. Nous avons pris de l’avance en Europe avec "Solvency II".
La partie qui reste vraiment à finaliser au niveau international est la partie "financement de marché" et le système bancaire parallèle ("shadow banking"). C’est d'ailleurs très en phase avec l’agenda de la Commission et avec notre projet d’Union des Marchés des Capitaux. L’Union des Marchés des Capitaux, c’est finalement du financement non-bancaire ou non-intermedié par les banques même si les banques maintiendront bien évidemment une position clef dans le système financier.
Dans le financement non-bancaire il y a des choses que nous souhaitons encourager. Et il y a des zones grises que nous ne souhaitons pas forcement décourager mais qui ont besoin d’une régulation. Par exemple, lorsque des fonds financent des prêts avec des effets de levier, c'est-à-dire finalement une activité de banque, ils ne peuvent pas être complétement non-surveillés. Nous devons continuer à règlementer de manière appropriée des activités qui pourraient générer des risques.
Ensuite, nous n’avons pas terminé parce que cet agenda de régulation nous avons dû le conduire sous la pression de la crise. Il était très ambitieux et très diversifié. Or, tout le système financier est interconnecté et par conséquent, toutes nos quarante-et-quelques législations que la Commission a proposées dans la dernière législature s’impactent entre elles. Nous avons calibré du mieux possible pour qu’elles s’imbriquent comme les pièces d’un puzzle, sans qu’il y ait de trous ni de chevauchements. Mais compte tenu de leur nombre, compte tenu de la complexité de la matière, et compte tenu du fait que chacun de ces textes a été discuté et modifié avec sa propre logique de négociation politique, au sein du Parlement et du Conseil, il serait assez miraculeux que le résultat à l'arrivée soit un puzzle bien net ou toutes les pièces s’emboitent. Il est presque sûr qu’il y a des interactions non-désirées.
Nous comptons faire un "sanity check" de ce cadre règlementaire, pas seulement comme on le fait toujours dans le système européen, avec des revues verticales de chacun de ces instruments, mais aussi avec une appréciation horizontale de leurs interactions lorsqu’elles ont un effet matériel sur le fonctionnement du système financier.
La Commission va lancer des propositions pour l'Union des Marchés des Capitaux dans quelques jours, quel est son but?
En fait, il y a 15 ans on aurait probablement dit le Marché Unique des Capitaux. Nous avons un marché unique qui en la matière est extrêmement imparfait. Or, ces marchés sont à la fois mondialisés, et en même temps très segmentés à l'intérieur de l'Union européenne. Cette segmentation fait que, entre les pays qui disposent d'un excès de financement et les pays qui ont des besoins de financement, les capitaux ne s'allouent pas de manière fluide.
Dans le même temps, notre économie qui jusqu'à présent est extrêmement dépendante du financement bancaire, a vu ces financements bancaires se réduire. D'une part sous l'effet de la crise, et d'autre part, sous l'effet des règlementations qu'il a fallu adopter pour juguler la crise et qui ont amené, notamment, à limiter les effets de levier et donc les capacités d'une banque à prêter. C'était bien sûr nécessaire mais c'était probablement le plus mauvais moment pour le faire. La règlementation a eu des effets pro-cycliques inévitables même si nous avons essayé de les calibrer pour qu'ils soient les plus faibles possible.
D'une manière générale, ce n'est pas dans l'intérêt de l'économie européenne de ne dépendre que d'un moteur. De la même manière, il y a des avions monomoteurs mais ils sont plutôt moins sûrs que les avions bimoteurs ou quadriréacteurs. Dans un monomoteur, si le seul moteur tombe en panne on tombe avec. Nos économies en Europe continentale sont dépendantes à 70 % du financement bancaire. Donc, quand le financement bancaire s'enrhume l'économie tousse.
Ce que nous voulons faire, ce n'est pas réduire le financement bancaire, en réalité nous voulons essayer de le relancer, de rendre les banques plus solides, plus fortes et donc capables de prêter davantage. Mais à côté, nous voulons permettre à une offre de financement de marché de se développer. D'abord pour agrandir la taille des financements disponibles pour l'économie. Ensuite, pour rendre ces financements plus résilients, plus solides. Et puis enfin parce que qualitativement, ces différents types de financement ne financent pas nécessairement les mêmes besoins de l'économie.
Un jeune entrepreneur qui crée une start-up en microbiologie, par exemple, a bien entendu besoin d'une banque et d'une ligne de crédit. Mais il a aussi et peut être surtout besoin de capital risque, d'un investisseur qui va accepter de prendre un risque pour que son entreprise puisse se développer. C'est tout l'enjeu du financement de capital. Nos entreprises ont besoin à chaque étape de leur développement d'un mixte de financement à la fois bancaire et non-bancaire.
L'idée de l'Union des Marchés des Capitaux est justement de donner à l'économie européenne des financements plus diversifiés, plus adaptés à ses besoins et surtout des financements plus larges et plus solides.
Vous avez commencé votre carrière dans le domaine de la concurrence, d'abord au sein du gouvernement français et ensuite à la Commission. Où, selon vous, se situe le point d'équilibre entre un marché libéralisé et la régulation dans le secteur bancaire et financier?
Certaines activités, essentiellement des industries de réseaux, à cause de leurs caractéristiques – des monopoles naturels, de fortes barrières à l’entrée, des rendements fortement croissants – et/ou du fait de leur importance cruciale pour l'économie, ne peuvent pas être soumises au seul jeu de la concurrence. Car si le jeu de la concurrence s'exerce en dehors de tout cadre regulatoire, il n'y a pas de concurrence, le monopole va s'installer et il ne va pas être possible aux nouveaux entrants de le contester. Il faut donc une action de régulation proactive pour que la concurrence existe et qu'elle produise les résultats qui sont désirés.
Par ailleurs, ces industries sont de véritables infrastructures de compétitivité. Si vous êtes dans un État membre dans lequel les services postaux, les services de téléphonie, les services de transport et les services bancaires ne fonctionnent pas, ou sont trop chers, alors votre économie n'est pas compétitive. Ce sont des infrastructures de l'économie qui offrent un écosystème favorable à une économie compétitive.
Le système financier nécessite une régulation spécifique, à la fois parce qu’il est le système sanguin du corps de l'économie, en faisant circuler l’argent, et parce que lorsqu’il subit une crise, cette crise a des coûts pour l’économie en général et pour les finances publiques en particulier, qui sont sans commune mesure avec la crise d'un secteur industriel. Et si la crise de 2008/2009 nous apprend quelque chose, c'est que l'insuffisance de régulation du secteur financier génère des coûts énormes. En d'autres termes, la régulation c'est le fait pour la puissance publique de fixer des cadres ex-ante qui vont permettre à l'activité de se développer dans un environnement de risques maitrisés et à une concurrence saine et équitable de se développer. Et ceci au niveau national, européen, mais surtout international, puisque les services financiers sont par essence mondialisés. Il est très difficile d'imaginer un système financier dans lequel il n'y ait pas de standards internationaux.
Pour autant tous les services financiers n'ont pas besoin d’une régulation ex-ante. Certains au contraire n’en n'ont pas besoin, ou ont besoin de ne pas en avoir, notamment les marché naissants : question typique, par exemple, «est-ce qu’il faut réguler le "crowdfunding" ou pas ?»
Il y a certainement une phase de l’évolution de ce marché dans laquelle il est préférable de ne pas réguler parce que les risques ne sont pas très importants et on briderait l’innovation et le développement de ce marché. Et il y a probablement un moment à partir duquel il faut commencer à penser à une régulation minimale. Et si ça devenait très important et systémique il faudrait probablement penser à une régulation plus dure.
En tant que directeur général, vous gérez une direction de 385 personnes. Quels sont selon vous les principaux défis?
Ces 385 personnes ont produit une masse de règlementation absolument considérable dans les cinq dernières années. Nous sommes fiers de ce travail. Mes collègues et moi-même avons fait ce travail avec une petite équipe finalement – c'était une petite entreprise extrêmement dynamique, extrêmement surchargée de travail mais extrêmement motivée. Il a fallu beaucoup de solidarité entre les collègues pour que nous puissions arriver à produire ce que l'intérêt général européen exigeait de nous.
Maintenant, nous devons faire face au service "après-vente" de cette architecture règlementaire des cinq dernières années. C'est-à-dire les textes d'application réglementaire, dit de niveau 2 qui doivent être calibrés.
Dans le même temps l'agenda du G20 se poursuit et nous lançons ce grand projet qui est l'Union des Marchés des Capitaux. Alors, non seulement nous n’avons pas moins de travail que lorsque nous avons proposé tous ces actes législatifs, mais nous en avons largement autant et probablement même un peu plus. Pour autant, nous évoluons dans un environnement dans lequel les ressources dont nous disposons se raréfient.
C’est pourquoi, mon prédécesseur Jonathan Faull et moi-même avons engagé avec l'ensemble des collègues de la direction générale, une réflexion sur nos méthodes. Notre constat est que les tâches de régulations financières sont complexes et multi- dimensionnelles, alors même qu’elles font appel à des compétences techniques sectorielles très pointues. Comment combiner de manière optimale cette horizontalité et cette verticalité, comment limiter les besoins en structures de coordination et de contrôle de qualité pour diriger toute notre énergie sur les questions de substance, voilà le défi auquel nous sommes confrontés collectivement.
A l’issue d’une réflexion collective qui a impliqué l’ensemble des personnes de la DG FISMA, nous sommes parvenus à la conclusion que nous devons croiser nos structures verticales traditionnelles avec des réseaux horizontaux structurés par projet.
L'objectif est d'obtenir une organisation plus plate basée sur des échanges d’information fluides et la confrontation des arguments, dans laquelle les collègues qui sont en charge de différents projets sont encore plus responsabilisés et où les besoins de coordination sont limités au minimum. Nous espérons ainsi améliorer tant la quantité, que la qualité de notre production, la réactivité et la capacité d’adaptation de notre structure, ainsi que la motivation des personnes qui y travaillent.