French Tech : Pasqal lève 100 millions d'euros, un record dans l'ordinateur quantique en Europe (Les Echos | France)
date: 22/02/2023
Cette jeune pousse française a développé une technologie à base d'atomes neutres. Elle a déjà vendu des machines et signé des contrats avec des industriels pour mettre à leur disposition sa force de calcul.
Quand il a soutenu sa thèse de doctorat en 2002, Georges-Olivier Reymond ne pensait pas qu'il verrait des ordinateurs quantiques de son vivant. Aujourd'hui, tout a changé. Le patron de Pasqal a non seulement développé des premières machines, mais il vient aussi de lever 100 millions d'euros - un record pour une start-up du quantique en Europe - pour les rendre plus performantes.
Le finlandais IQM a certes amassé 128 millions d'euros en 2022. Mais cette enveloppe comprenait notamment un prêt de la Banque européenne d'investissement. A l'inverse, Pasqal certifie que son financement est constitué « à 100 % d'equity ». « Là-dessus, on ira ajouter de la dette et des subventions plus tard et on sera facilement à 130-140 millions d'euros », se projette Georges-Olivier Reymond, qui a cofondé cette société avec quatre associés dont Alain Aspect, le récent prix Nobel de physique.
Le fonds souverain singapourien Temasek a mené le tour de table aux côtés du Conseil européen de l'innovation (EIC), Wa'ed Ventures et du fonds Large Venture de Bpifrance. Les investisseurs historiques de Pasqal (Quantonation, le Fonds Innovation Défense, Daphni et Eni Next) ont également remis au pot. « Le capital de Pasqal reste largement français et européen », insiste le dirigeant. La société ne communique pas sur sa valorisation.
Une technologie atypique
Dans un marché du capital-risque refroidi, lever un tel montant est un bel exploit. Pasqal récolte les fruits de son pari de départ. Alors qu'il existe plusieurs chemins possibles pour inventer un ordinateur quantique capable d'offrir, un jour, une puissance de calcul sans équivalent, la start-up a choisi de développer une machine à base d'atomes neutres. Une technologie qui a plusieurs atouts.
« Nous n'avons pas besoin de fabriquer des qubits [l'unité élémentaire dans la physique quantique, NDLR]. Nous utilisons des atomes de rubidium que nous prenons dans la nature et qui sont pareils à Paris ou à Tokyo », décrypte Georges-Olivier Reymond. « Ces atomes sont quantiques par nature. Résultat : nous n'avons pas besoin de les refroidir. Tout se passe à température ambiante. Par ailleurs, les technologies optiques nous permettent de passer à l'échelle », poursuit le récipiendaire de la médaille d'or du CNRS.
« Ce n'est pas le modèle le plus couramment utilisé dans le calcul quantique dans le monde. L'avantage, c'est qu'il est pour l'instant plus viable et permet de traiter des problèmes concrets à une échéance plus courte que ce qu'on peut faire avec des modèles programmables », remet en perspective Olivier Ezratty, auteur du livre « Understanding Quantum Technologies 2022 ». Aux Etats-Unis, QuEra, AtomComputing, Planqc et Infleqtion explorent aussi cette voie. Pasqal a une longueur d'avance sur eux, estimait récemment l'investisseur Russ Fein dans une note de synthèse.
Le cap des qubits
« La première génération de nos machines fonctionne entre 100 et 200 qubits. La seconde en aura 1.000 », avance Georges-Olivier Reymond. La start-up assure pouvoir atteindre ce seuil symbolique dès cette année, et fournir un ordinateur quantique capable de débloquer des avantages commerciaux pour ses clients en 2024.
A ce stade, Pasqal a déjà fabriqué quatre prototypes. « Deux à usage interne et deux autres qui ont été vendus dans des centres de calcul de haute performance à Jülich en Allemagne et au Genci en France », précise le fondateur.
La pépite née sur le plateau de Saclay a aussi signé des premiers contrats avec des grands groupes, à l'image du Crédit Agricole CIB, pour les aider à résoudre des problèmes complexes. « Il faut trouver des cas d'usage, montrer que l'ordinateur quantique est efficace, entraîner les utilisateurs pour qu'ils apprennent à s'en servir », énumère l'entrepreneur.
Avec son trésor de guerre, Pasqal veut industrialiser son processus de fabrication, ce qui impliquera de recruter une centaine de salariés, acheter du matériel, construire des usines, tout en gardant le cap technologique. A terme, le cloud a vocation à devenir son principal canal de distribution (modèle du « quantum-as-a-service »). Une première expérimentation a été lancée avec OVHCloud. Pasqal a également signé un partenariat avec Microsoft Azure.
Développer la partie logicielle
Au-delà du hardware, Pasqal fait aussi du logiciel. « Il faut une bonne technologie mais aussi des bonnes applications par-dessus », rappelle Georges-Olivier Reymond. C'est pourquoi la société a fusionné en 2022 avec la start-up néerlandaise Qu & Co, spécialisée dans les algorithmes quantiques.
« Tout le monde se focalise sur le nombre de qubits car c'est la course pour tous les fabricants de hardware. Mais on constate qu'il y a aussi beaucoup de progrès dans le logiciel et les algorithmes quantiques. Si on arrive à avoir un algorithme 1.000 fois plus efficient, on aura peut-être besoin de 1.000 ou 100 fois moins de qubits », analyse Olivier Tonneau, investisseur chez Quantonation.
Si la start-up parvient à respecter son ambitieuse feuille de route, elle devra de nouveau frapper à la porte des investisseurs. « Nous avons réussi à amener une boîte comme Pasqal à un niveau assez extraordinaire. Il va maintenant falloir l'aider pour la série C ou la série D. Ces tours devront faire 200 ou 300 millions d'euros, voire un milliard si Pasqal veut apporter sa technologie au marché et prendre le leadership », anticipe Christophe Jurczak, cofondateur de Pasqal et investisseur chez Quantonation. Le propre d'un record est d'être battu.
Adrien Lelièvre