
L'Europe, vecteur de la libéralisation
Mr. Karel VAN MIERT
21.10.1996
Paris
Mesdames, Messieurs,
Notre réunion d'aujourd'hui se tient alors que se cristallisent
les tensions et qu'éclatent les oppositions, autour des
notions de Libéralisme économique et de Service
Public. Ces oppositions, qui me paraissent pour ma part en partie
artificielles, sont fréquemment assimilées à
une opposition entre la Commission européenne, d'une part,
et les Etats membres dans lesquels la tradition du Service Public
est forte, d'autre part. Au premier rang de ces pays on trouve
naturellement la France.
Le débat est passionné - probablement trop passionné
- allant parfois jusqu'à la caricature. Certains, parmi
les tenants du Service Public n'hésitent pas à dépeindre
la Commission comme une "machine à libéraliser",
"ultra-libérale"et dogmatique. D'autres, inconditionnels
du tout-marché, dépeignent volontiers le Service
Public comme un concept vieillot, un système d'interventionnisme
étatique, inefficace et sclérosé, incompatible
avec les défis économiques auxquels nous sommes
confrontés.
Pour ma part, je me méfie par nature des dogmes et des
intégrismes quels qu'ils soient. A l'approche dogmatique,
la Commission préfère les démarches pragmatiques.
Elles me paraissent être seules de nature à permettre,
par le débat et la concertation, de dégager les
équilibres nécessaires, plutôt que de s'engager
dans de stériles guerres de religion. J'ai souvent eu
l'occasion de le dire par le passé : la politique de concurrence
n'est pas un but en soi et encore moins une religion. D'autre
part, il convient d'aborder avec la même attitude pragmatique
et ouverte, les concepts de Service Public et de Monopole Public.
D'un point de vue pratique, que l'on soit plutôt un tenant
de l'économie libérale ou un partisan de ce que
l'on appelle en France l'économie mixte, nos choix doivent
être largement guidés par l'intérêt
du consommateur. C'est lui le juge suprême. Or, de ce point
de vue, deux faits frappent l'observateur objectif. Tout d'abord,
la qualité inégale des Services Publics sous monopole
au sein de l'Union Européenne. Ensuite, la bonne qualité
de certains Services Publics ouverts à la concurrence.
Je pense ici notamment au courrier rapide ou au téléphone
mobile où les monopolistes d'hier ont fait la preuve de
leur capacité à se réorganiser et à
soutenir l'épreuve de la concurrence au bénéfice
des consommateurs.
Il me semble que si le débat entre Service Public et libéralisme
économique a émergé dernièrement avec
force, c'est que notre environnement économique et social
a subi une mutation rapide au cours des quinze dernières
années. Cette mutation présente un défi
stimulant à la notion de Service Public en même temps
qu'elle remet en question la trilogie traditionnelle Service Public/Entreprises
Publiques/Monopoles Publics.
Face à cette problématique, les dispositions du
Traité de Rome posent les principes d'un équilibre
évolutif entre Service Public et concurrence, ainsi que
la Commission l'a expliqué dans sa communication du 11
septembre 1996 sur "les services d'intérêt général
en Europe". C'est cet équilibre que la Commission
doit faire respecter de sorte que les différentes conceptions
du Service Public qui existent au sein de l'Union soient compatibles
entre elles, dans le cadre du marché unique.
C'est autour de ces axes que je voudrais, si vous le voulez bien,
organiser mon propos. Avant de commencer je voudrais quand même
faire une remarque préliminaire. Vous m'avez invité
à parler sur le sujet "L'Europe, vecteur de la déréglementation",
mais je me suis permis de modifier legèrement le sujet
de mon intervention: je vais plutôt parler de l'Europe comme
vecteur de la libéralisation. On confond très souvent
ces deux termes, qui sont dévenus presque synonimes dans
le language courant, mais il y a une différence importante.
La finalité principale des politiques communautaires n'est
pas d'éliminer des réglementations, même si
celà peut être justifié dans certains cas,
mais plutôt de s'assurer que les régulations en place
sont compatibles avec l'intégration économique et
avec les intérêts des consommateurs. Très
souvent celà exigera non seulement l'introduction de la
concurrence par l'élimination des monopoles, mais aussi
la mise en place d'un autre type de réglementation, visant
à garantir la poursuite des objetifs d'intérêt
public dans un cadre concurrentiel. Je préfère donc
parler de libéralisation plutôt que de déréglementation.
Les pressions qui pèsent sur le Service Public aujourd'hui,
sont réelles. Elles sont fortes. Elles ne sont pas,
comme je l'entend trop souvent, le fruit d'une volonté
dogmatique et délibérée de la Commission
de libéraliser à tout prix. La vérité
est que même si elle en avait la volonté, la Commission
n'en aurait pas le pouvoir. En réalité, la remise
en cause, partout en Europe, mais aussi ailleurs dans le monde,
de l'axe Service Public/Entreprises Publiques/Monopoles Publics,
répond à une problématique complexe et trouve
sa source dans de nombreux facteurs largement indépendants
de la construction communautaire. Je voudrais, de façon
non-exhaustive, en énumérer quelques-uns:
- tout d'abord, la naissance des Services Publics a le plus souvent
été marquée par la nécessité
d'allouer des ressources rares. Pour cette raison, ils revêtent
souvent le caractère de Monopoles Publics. En France notamment,
c'est souvent cette situation de rareté, pour ne pas dire
de pénurie, et les exigences de la reconstruction qui ont
motivé, immédiatement après guerre, la constitution
des grands services publics.
Or, les conditions économiques qui prévalent aujourd'hui
sont sans aucun rapport avec ces situations. Les Services publics
doivent s'adapter à une économie où des consommateurs
avertis peuvent comparer, au jour le jour, les biens et les services
offerts, dans un monde qui s'est rétréci à
ce que l'on a coutume d'appeler le "village mondial";
- en second lieu, l'internationalisation des échanges
et l'intégration des économies, impliquent nécessairement
la suppression de certaines protections juridiques nationales
qui ne correspondent plus, ni à l'état de l'économie,
ni aux stratégies d'acteurs qui, dans mains domaines, sont
devenues internationaux. Je pense en particulier à l'exemple
d'Atlas, la filiale entre France Télécom et Bundestelekom
;
- enfin, les révolutions techniques et technologiques
qui se succèdent modifient, elles aussi, la donne traditionnelle
des économies de monopole. Je pense en particulier à
l'exemple des télécommunications.
C'est donc faire à la Commission un honneur excessif que
de lui attribuer la paternité des pressions qui pèsent
sur les Services Publics et du mouvement de libéralisation
qui en est le reflet.
En réalité, la réalisation, puis le fonctionnement
du Marché Unique, ont servi de révélateur
à ces tendances lourdes. La dynamique du marché
unique, a stimulé l'activité des entrepreneurs et
a donc certainement contribué à faire peser sur
l'ensemble des acteurs économiques un impératif
de performance plus fort encore que par le passé. Ce faisant,
le Marché Unique a participé à l'ouverture
naturelle à la concurrence et aux échanges transfrontaliers
de biens, mais surtout de services marchands, qui en étaient
jusqu'à présent abrités. Les exemples sont
nombreux dans les banques, les assurances, les transports, les
télécommunications ou même la Poste.
La politique dite de "libéralisation" menée
par la Commission n'est donc que la traduction des réalités
économiques sous jacentes et le nécessaire prolongement
de la réalisation du Marché Unique.
Cet environnement plus ouvert et par voie de conséquence
plus concurrentiel, a ébranlé les conceptions traditionnelles
- je dirais presque traditionalistes - du Service Public, qui
souvent associent indissolublement Service Public, Monopole Public
et propriété publique des moyens de production.
De telles conceptions entrent aujourd'hui en conflit, parfois
frontal, avec les réalités de l'interdépendance
croissante des économies, mais aussi avec la logique même
de l'intégration européenne.
En effet, la logique du marché Unique rend plus difficile
la coexistence en son sein d'espaces libéralisés
et de territoires protégés par des droits spéciaux
où de monopoles. De telles situation débouchent
naturellement sur des entraves à la libre circulation et
sur des distorsions du jeu de la concurrence. Il faut donc qu'il
existe une règle du jeu commune qui permette de définir
un équilibre entre la poursuite d'objectifs légitimes
de Service Publics qui sont du ressort des Etats membres, et les
principes fondamentaux du marché commun.
L'analyse montre que Service Public, Entreprises Publiques et
Monopoles Publics sont trois notions en réalité
largement indépendantes les unes des autres. Il n'est pas
nécessairement indispensable d'être une Entreprise
Publique ou de disposer d'un Monopole Public, pour s'acquitter
d'une mission de Service Public dans le secteur marchand. Le
débat souffre de la confusion qui est entretenue autour
de cette trilogie traditionnelle.
Certes, le monopole peut être indispensable à la
poursuite des objectifs de Service Public. Souvent pourtant le
monopole est plus un présupposé idéologique
qu'une réelle nécessité économique.
Différents pays au sein de l'Union Européenne, dont
certains ont une forte culture de Service Public, se sont d'ailleurs
livrés à une analyse critique de l'équation
: Services Publics, Entreprises Publiques et Monopoles.
Les autorités Suédoises ont ainsi abrogé
le monopole de la Poste, que la Commission pourtant a reconnu
comme étant nécessaire à l'exercice des missions
de Service Public. Le courrier ne semble pas être plus mal
acheminé, ni le Service Public de la Poste plus mal rempli
depuis lors, malgré les difficultés que l'on peut
imaginer.
La Finlande et la Suède ont démonopolisé
la téléphonie vocale. Plus loin de nous, l'Ausralie
et la Nouvelle Zélande où existent des traditions
fortes de Servic Public ont démonopolisé de nombreux
secteurs, y compris dans le domaine de l'énergie.
Dans aucun de ces cas l'universalité et la qualité
du service rendu au consommateur n'ont eu à en souffrir,
tout au contraire.
Tous ces exemples le montrent, dans bien des cas on peut préserver
le Service Public sans recourrir au monopole ou à d'autres
restrictions de la concurrence.
En réalité, dans un certain nombre de cas, les conditions
mêmes dans lesquels des monopoles ont été
historiquement établis ont peu de rapport avec les impératifs
économiques . Par exemple, le monopole des courses de
chevaux en France, semble avoir été originellement
institué dans le souci d'améliorer la race chevaline
pour les besoins de l'armée, je ne sais pas si c'est vrai,
mes amis français assurent que si.
Le maintien du système de monopole relève donc parfois
d'une forme de conformisme plus que d'une analyse en profondeur
des objectifs du service public et des moyens nécessaires
pour atteindre ces objectifs de manière optimale.
Quoi qu'il en soit, face aux mutations de l'économie, il
faudra bien, à la lumière d'une analyse rigoureuse,
redéfinir, sur la base du Traité de Rome, un équilibre
entre la logique du Marché et les objectifs de Service
Public.
Quels sont donc les rôles respectifs des Etats membres et
de la Commission dans la recherche de cet équilibre?
Parce que la définition et la mise en oeuvre des missions
de Service Public est du ressort des Etats Membres, ceux-ci sont
le lieu naturel où doit se tenir une réflexion
approfondie, secteur par secteur, sur les fondements, les objectifs
et les moyens du Service Public.
La Commission quant à elle, a pour mission essentielle
de veiller à ce que les différentes conceptions
nationales: Service Public en France, Public Utilities en Grande
Bretagne, d'autres concepts encore dans d'autres Etats membres....
soient compatibles les unes avec les autres dans le cadre de l'Union
Européenne. C'est en ce sens qu'il faut comprendre la
notion communautaire de "services d'intérêt
économique général". C'est une notion
large qui couvre un ensemble d'objectifs légitimes. Elle
peut correspondre tout autant aux notions latines de "service
public" qu'au concept anglo-saxon de "services d'utilité
publique". Elle exprime ainsi le "rôle fédérateur"
dévolu à la Commission qui est de veiller à
ce que soit respecté l'équilibre entre la liberté
légitime des Etats Membres de définir des missions
de Service Publique et d'en organiser l'exercice d'une part et
les principes fondateurs du Traité d'autre part.
En termes plus pratiques, je vous propose de dresser un récapitulatif
des règles du Traité actuellement applicables aux
Services Publics et de vous donner un aperçu de leurs applications
pratiques.
Le point de départ est, bien entendu, le principe de libre
circulation au sein d'un marché intérieur. Comme
dans les systèmes nationaux - notamment le système
français - la liberté économique est la règle
et les interventions publiques sur le marché restent l'exception.
Les dispositions du droit communautaire de la concurrence qui
touchent particulièrement les Services Publics sont articulées
autour de cette distinction entre le principe et l'exception.
C'est notamment l'architecture des articles 90 et 92 du Traité.
Le Traité, contrairement à ce que j'entend ici et
là, ne s'oppose donc en rien à ce que l'objectif
légitime d'accroîssement du bien être des citoyens
qui caractérise toute politique publique, soit poursuivis
par le biais de Services Publics. Au contraire, le Traité
reconnaît que les règles de concurrence peuvent,
dans de tels cas, faire l'objet de limitations.
Le fameux article 90 sur ce point est très clair. Il pose
les bases fondamentales de l'équilibre voulu par le Traité
entre Service Public et concurrence. Il n'édicte pas d'interdiction
absolue des monopoles légaux, mais il organise un régime
dérogatoire au principe de concurrence, lorsque l'exception
est justifiée par l'exercice d'une mission d'intérêt
économique général et que le développement
des échanges n'est pas affecté dans une mesure contraire
à l'intérêt de la Communauté.
L'article 92 édicte, quant à lui, une interdiction
de principe des aides d'Etat qui faussent ou menacent de fausser
la concurrence, pour autant qu'elles affectent le commerce entre
Etats membres . Mais là aussi, il existe un régime
d'exception, sous réserve d'un contrôle de proportionnalité
par la Commission.
Pour être tout à fait complet, je mentionnerai pour
conclure sur ce point, l'article 222 du Traité qui affirme
la neutralité à l'égard du régime
de propriété des entreprises. En d'autres termes,
il n'appartient pas à la Commission de dire si une entreprise
doit être publique, mixte ou privée. Contrairement
à ce qui a parfois été affirmé le
droit communautaire n'exige donc en rien, la privatisation des
entreprises publiques.
L'ensemble de ces règles me semble répondre assez
bien à l'exigence de conciliation entre les objectifs de
service public et le respect des libertés fondamentales
inscrites dans le Traité. Je suis d'ailleurs conscient
qu'une bonne partie des critiques qui leurs sont faites ne sont
pas, en réalité, dirigées contre ces règles
elles mêmes, mais plutôt contre la façon dont
elles seraient appliquées par la Commission.
La question qui se pose finalement, est de savoir comment la Commission
garantit cet équilibre, comment est défini le compromis
lorsque la logique des libertés économiques fondamentales
entre en contradiction avec l'octroi de droits exclusifs ou de
monopoles, à des entreprises chargées d'un Service
Public.
Pour ce qui concerne l'utilisation de l'Article 90, d'une manière
générale, la Commission a fait preuve de prudence,
certains diront de trop de prudence.
Il est d'ailleurs intéressant de souligner que la plupart
des récents arrêts de la Cour de Justice concernant
les monopoles ont pour origine des actions privées devant
les juridictions nationales et non pas des initiatives de la Commission.
Dans toutes les affaires qu'elle a instruites, la Commission a
été soucieuse de ne pas porter atteinte aux services
publics. Au demeurant, lorsqu'il a fallu adopter des décisions
individuelles, les Etats membres s'y sont le plus souvent conformés
sans les attaquer devant la Cour. A titre d'exemple, la Commission
a admis en 1989, bien avant l'arrêt Corbeau, que les droits
exclusifs pour les services postaux de base étaient nécessaires
pour empêcher l'écrémage des activités
les plus rentables par des opérateurs privés et
pour maintenir un service universel.
Cependant, il peut être nécessaire d'utiliser l'Article
90 pour mettre fin à des agissements discriminatoires émanant
d'autorités publiques. Ainsi, la Commission a adopté
récemment une décision au titre de l'article 90(3)
à l'encontre du système de rabais sur les taxes
d'atterrissage, mis en place à l'aéroport de Bruxelles-National
. Ce système permettait à la compagnie aérienne
belge, la Sabena, de bénéficier d'un rabais de 18%
sur ses charges d'atterrissage alors qu'aucune autre compagnie
aérienne n'était en mesure de bénéficier
de ce rabais. Après instruction de la plainte, la Commission
a considéré que ce système constituait une
mesure étatique ayant pour effet d'infliger à l'égard
des autres compagnies aériennes un désavantage dans
la concurrence.
La Commission a adopté la même attitude, s'agissant
des redevances imposées au second opérateur GSM,
notamment en Italie.
L'affaire du Port de Gênes enfin, me semble tout à
fait illustrative d'un monopole public séculaire qui ne
trouve strictement aucune justification, ni sur le plan économique,
ni pour ce qui concerne l'exercice de missions de Service Public.
L'Italie s'est d'ailleurs engagée dans un processus de
réforme portuaire qui a conclut à l'adoption en
1994 de la Loi n/ 84. Le principe de l'ouverture à la concurrence
du marché des services portuaires y est clairement établi.
Cependant, cet objectif n'a pas été suivi dans les
faits parce que, dans un certain nombre de ports italiens, les
autorités locales ont systématiquement refusé
de délivrer des autorisations d'exercer nécessaires
aux concurrents potentiels des anciennes compagnies de dockers.
La Commission a mis en demeure, le 21 juin 1995, le Gouvernement
italien de délivrer dans les dix jours une autorisation
d'exploitation à une entreprise qui se voyait nier ce droit,
de manière abusive, par l'autorité portuaire locale.
Le 11 juillet 1995, les autorités italiennes ont communiqué
à la Commission que l'autorisation en question avait été
délivrée dans les délais impartis.
Au delà de ces quelques exemples, il me paraît nécessaire
d'insister sur le fait que les gestionnaires de Services Publics
doivent veiller à ne pas entretenir de confusion entre
les activités qui bénéficient de droits spéciaux
et d'autres services qui appartiennent pleinement au secteur concurrentiel.
Je pourrais prendre l'exemple de la poste en France qui s'est
lancée dans les assurances. Cette activité est sujette
à un régime commercial et concurrentiel normal.
Dans de tels cas, un monopole ou une entreprise chargée
d'une mission de service public ou universel, ne doit pas tirer
parti de ses privilèges dans un secteur donné pour
assurer son développement dans d'autres secteurs qui eux
sont concurrentiels. Les entreprises publiques ou privées
qui bénéficient de droits spéciaux voire
de monopoles publics, doivent, lorsqu'elles se lancent dans d'autres
activités sur un secteur concurrentiel, respecter la logique
du marché et la transparence nécessaire entre leurs
diverses activités. En particulier, elles ne doivent pas
subventionner les activités soumises à concurrence
par les bénéfices retirés de leurs activités
sous monopole.
Une prudence encore plus extrême a été appliquée
par la Commission dans les cas où elle a décidé
de faire respecter les règles du Traité par voie
de directive dans un secteur déterminé.
Je voudrais tout de suite dissiper un malentendu: les directives
de l'article 90.3 ne présentent pas un caractère
législatif. Elles ne servent pas à créer
des nouvelles obligations. Elles ne sont que des actes d'application
de normes déjà existantes, les normes du Traité.
Il ne s'agit donc pas de légiférer, mais d'appliquer
et de préciser le contenu des obligations inscrites dans
le Traité. Les directives article 90.3 sont par ailleurs
soumises au contrôle de légalité de la Cour
de Justice. On ne peut donc pas parler de l'article 90 comme
d'une sorte d'aberration institutionnelle.
Au delà des aspects institutionnels, les directives prises
par la Commission en application de l'article 90 font l'objet
de très larges consultations, tant avec les Etats membres
qu'avec les milieux concernés. La Commission tient le
plus grand compte de ces avis afin que les textes adoptés
permettent d'atteindre les objectifs de Service Public tout en
préservant, dans toute la mesure du possible, le principe
de concurrence.
Là encore, je voudrais prendre quelques exemples:
les premières directives en matière de services
de télécommunications, avaient reconnu la nécessité
pour les opérateurs de maintenir la téléphonie
vocale sous monopole pendant une certaine période afin
de permettre une évolution graduelle vers un régime
de concurrence.
Les résultats des consultations entreprises dans ce cadre,
par la Commission avec les différents acteurs du secteur
ont montré de manière évidente que le maintien
d'un service universel peut désormais être parfaitement
assuré dans le domaine des télécommunications
sans avoir besoin de droits exclusifs, ni pour les infrastructures,
ni pour la téléphonie vocale. D'autres moyens, moins
restrictifs de la concurrence, existent pour assurer le service
universel. La récente directive sur la pleine concurrence
prévoit ainsi que la double exigence: service universel
et concurrence, peut justifier la mise en place de systèmes
équitables de partage du coût net de l'obligation
de Service Public entre opérateurs.
En matière de services postaux comme en matière
d'énergie, la Commission a adopté une démarche
plus prudente et progressive et s'est attachée à
éviter que ne se développent des stratégies
"d'écrémage".
Je tiens à souligner que la Commission s'est toujours attachée
à proposer des mesures d'harmonisation au Conseil et au
Parlement sur la base de l'Article 100A en paralèle avec
d'éventuelles directives fondées sur l'article 90.
En ce qui concerne le régime de contrôle des aides
d'Etat prévu à l'article 92 du Traité, la
Commission a déjà, à plusieurs reprises,
considéré que les Etats membres peuvent subventionner
la part de l'activité des entreprises qu'il considéraient
comme relevant d'un Service Public.
Par exemple, dans le secteur aérien, il a été
convenu que les autorités publiques pourraient continuer
à aider des compagnies à assurer des liaisons qui
ne sont pas rentables. Ce point nous différencie par exemple
des EtatsUnis, où la déréglementation génère
l'abandon automatique de routes qui ne sont pas rentables. Dans
la Communauté, un Etat membre ou une région peut
décider qu'une liaison non rentable doit être maintenue
grâce à des subventions. Simplement, ces subventions
devront être attribuées de façon transparente
et sans discrimination.
Permettez-moi d'illustrer mon propos par un autre exemple récent
qui touche la France. Les assureurs français ont porté
plainte auprès de mes services contre les aides d'Etat
dont bénéficie la Poste laquelle, comme je l'ai
déjà mentionné, exerce des activités
dans le domaine de l'assurance. Mes services ont constaté
que le surcoût que représente pour la Poste, les
missions de Service Public qu'elle remplit en entretenant un réseau
de distribution dense en milieu rural sont supérieurs aux
aides perçues. Nous avons donc conclu que le droit communautaire
de la concurrence ne trouvait pas à s'appliquer en l'occurrence.
En d'autres termes, une telle subvention ne constitue pas une
aide d'Etat faussant la concurrence au sens du Traité,
le problème de son exemption ne se pose donc même
pas.
Par ailleurs, notre système rend possible, d'ores et déjà,
d'avancer vers une certaine convergence au niveau des objectifs
nationaux et ceci grâce à la notion de service universel.
Ainsi dans le cadre de leurs compétences en matière
d'environnement, de consommateurs ou de réseaux trans-européens,
les institutions communautaires contribuent d'une façon
concrète à promouvoir les objectifs d'intérêt
général.
Ces contributions positives à la promotion des services
publics sont très importantes et doivent être renforcées.
La Commission souhaite d'ailleurs que cette idée soit inscrite
d'une façon explicite dans l'article 3 du Traité.
Il n'en reste pas moins que la responsabilité essentielle
en matière de services publics continue d'appartenir aux
Etats membres. Ceci est raisonnable et correspond parfaitement
à la logique de subsidiarité - au sens propre du
terme.
En conclusion, je vous dirais que la Commission s'est toujours
attachée, et continuera de s'attacher, à défendre
le service universel, c'est-à-dire la fourniture au plus
grand nombre d'un service de qualité à un prix raisonnable.
Ainsi qu'elle l'a exprimé dans sa récente communication
sur les services d'intérêt général
en Europe la Commission ne croit pas qu'il soit souhaitable de
modifier - directement ou indirectement - l'article 90 du Traité,
qui est la disposition qui permet d'établir la compatibilité
entre fonctionnement concurrentiel des marchés et obligation
de service public. En revanche, il me semble souhaitable d'encourager
des actions positives de la part des instances communautaires
dans le cadre de leurs compétence existantes visant à
promouvoir - en parallèle avec les Etats membres - des
objectifs de service public. Il s'agit d'une réalité
dont la reconnaissance explicite dans l'article 3 du Traité
est déjà proposée par la Commission dans
sa récente communication sur les services d'intérêt
générale en Europe.
[ DISCOURS ] - [ Précédent ]
|