Note d'information de M. Oreja à la Commission

"Politique audiovisuelle : bilan et perspectives"


Introduction

Estimée à environ 70% dans les dix ans à venir, la forte croissance du marché audiovisuel dans l'Union européenne (le premier marché du monde) constitue une opportunité et un défi majeurs tant pour les industries concernées que pour la société dans son ensemble.

Alors que se met en place le cadre pour le développement de nouvelles infrastructures de communication, à l'aube du XXI ème siècle les enjeux se déplacent vers la bataille du contenu, des images.

Poussée par la multiplication et la diversification des services et produits audiovisuels grâce au numérique, la demande de contenus audiovisuels (films, programmes de télévision, multimédia) croît rapidement.

Dans ce secteur où l'industrie européenne accuse encore un large déficit des échanges (6 milliards de dollars, soit environ 250.000 emplois), le renforcement de la compétitivité de nos entreprises est une priorité pour valoriser notre diversité culturelle et linguistique et faire profiter pleinement le citoyen européen des possibilités offertes par les nouveaux médias, et transformer la croissance en emplois, afin de rapprocher le nombre d'emplois du secteur en Europe (1,8 millions) à celui constaté aux Etats-Unis (2,6 millions).

I. Bilan politique de la politique audiovisuelle

I.1 Objectifs de la politique audiovisuelle

Le développement de la politique audiovisuelle de l'Union européenne répond à deux objectifs fondamentaux :

- établir et assurer le fonctionnement d'un véritable espace audiovisuel européen;

- mettre en oeuvre une stratégie de renforcement des industries européennes de production de contenus.

Ces deux objectifs sont poursuivis en prenant pleinement en compte la dimension culturelle du secteur audiovisuel, qui constitue un élément fondamental de sa spécificité et qui trouve son reflet dans le Traité (cf. l'article 128 paragraphe 4, renforcé par le projet de Traité d'Amsterdam).

Les actions de la politique audiovisuelle contribuent également au développement de la Société de l'Information.

Lorsque la présente Commission a pris ses fonctions en février 1995, les principaux instruments de cette politique étaient en pleine refonte. Ainsi, la Commission a-t-elle proposé au cours des premiers mois de son mandat :

- la directive modifiant la directive 89/552/CEE "Télévision sans frontières" visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle(1);

- le nouveau programme MEDIA II (mesures européennes pour le développement de l'industrie audiovisuelle 1996-2000)(2);

- le Fonds européen de garantie visant à encourager la production cinématographique et télévisuelle(3).

Les deux derniers instruments visent à titre principal l'objectif de renforcement des industries de programmes, le premier vise principalement celui de l'établissement de l'espace européen. MEDIA II et la directive sont complémentaires et, dans une certaine mesure, liés entre eux. Par exemple, la directive contient dans son chapitre III des mesures juridiques visant le renforcement des industries de programme alors que le programme MEDIA II encourage financièrement la circulation effective des programmes à l'intérieur de l'espace audiovisuel européen.

En outre, la Commission a soumis au Parlement européen et au Conseil, en octobre 1996, le "Livre Vert sur la Protection des mineurs et de la dignité humanine"(4). L'approche consiste à assurer que la dimension éthique des nouveaux services audiovisuels et d'information soit prise en compte dans leur developpement de manière à assurer un equilibre optimal entre liberté d'expression et protection de l'intérêt général.

I.2 Résultats acquis à ce jour

l Les décisions du Conseil relatives à MEDIA II (1996-2000) ont été rapidement adoptées dans le courant de l'année 1995, dotant le programme d'un budget global de 310 Mecus. Le développement et la rationalisation des instruments communautaires de soutien à l'industrie des programmes a permis d'identifier les domaines prioritaires d'action permettant d'obtenir un effet de levier sur les structures de l'industrie. MEDIA II concentre ainsi ses actions sur la formation, le développement et la distribution dans une optique européenne d'une meilleure circulation des oeuvres en Europe et dans le monde. La mise en oeuvre du programme a démarré dès janvier 1996. L'évaluation à mi-parcours aura lieu courant 1998. Le bilan prospectif des 5 années du programme s'établit comme suit:

Aides au développement (60 Mecus)

Aides à la distribution (205 Mecus)

Aides à la formation (45 Mecus)

- 200 Initiatives de formation

(1.700 professionnels et 650 institutions impliqués).

l La nouvelle directive "Télévision sans frontières" vient d'être adoptée(5). Cet instrument constitue la pierre angulaire de l'espace audiovisuel européen. Adoptée par le Conseil à la quasi-unanimité, la nouvelle directive est le fruit d'un remarquable travail inter-institutionnel. Par rapport au texte de 1989, la nouvelle directive est modernisée, clarifiée et complétée. A l'ère de la technologie numérique, elle fournit un cadre juridique sûr pour que les opérateurs de télévision puissent développer leurs activités dans l'Union européenne, notamment grâce au renforcement du principe de l'unique responsabilité du pays émetteur (chaque diffuseur relève de la seule compétence de l'Etat membre où il est établi). Les règles matérielles de la directive garantissent la protection de l'intérêt général au travers de la coordination des règles nationales dans un certain nombre de domaines tels que la publicité, le parrainage, le télé-achat, le droit de réponse et la protection des mineurs et de la dignité humaine. Le système de promotion de la diffusion d'oeuvres européennes, mis en place en 1989, est confirmé. De nouvelles mesures relatives aux retransmissions télévisées des événements majeurs, notamment sportifs, visent à mettre les Etats membres en mesure de garantir l'accès du public à de tels événements diffusés par la télévision en clair. Le tout constitue un système renouvelé et renforcé.(6)

l Le Fonds de Garantie a fait l'objet d' avis très favorables de la part du Parlement européen et du Comité économique et social. Le tour de table effectué lors du Conseil du 30 juin a permis d'enregistrer quelques progrès. Une majorité d'Etats membres a réaffirmé son soutien ferme pour cette proposition. Cependant, l'unanimité requise n'a pas encore pu être atteinte. La présidence luxembourgeoise a fait part de sa volonté de s'efforcer d'obtenir un résultat positif lors du Conseil de novembre.

l Les services de la Commission ont mené à bien le processus de consultation sur le Livre Vert sur les nouveaux services audiovisuels et d'information. Les résultats de ce processus ont été présentés au Conseil lors de sa réunion du 30 juin 1997 dans un document de travail (7). Ce document a reçu un accueil positif unanime des Etats membres. Plusieurs ministres ont félicité la Commission de son approche pragmatique soulignant que celle-ci - avec l'importance qu'elle attache à l'auto-régulation encadrée - a trouvé le bon équilibre entre liberté d'expression et protection des intérêts généraux en cause (notamment la protection des mineurs). Les ministres attendent désormais de la Commission une proposition de Recommandation du Conseil. J'ai l'intention de soumettre au Collège les propositions appropriées dès octobre.

II. Le développement du secteur audiovisuel et ses enjeux

L'une des caractéristiques marquantes du secteur est sa capacité de développement rapide, notamment sous l'impulsion des nouvelles technologies. Il s'agit d'un secteur dont les particularités en font une "industrie culturelle" par excellence. Les enjeux sociétaux sont également très importants.

II.1 Un secteur à fort potentiel économique

Le potentiel économique du secteur audiovisuel est considérable. Au-delà de la simple constatation de l'augmentation spectaculaire du nombre de chaînes de télévision(8) l'étude récemment menée par le cabinet de consultance NORCONTEL(9) pour le compte de la DG X confirme ce potentiel. Elle présente une projection de l'évolution des revenus du secteur (radiodiffusion, industrie cinématographique, vidéo, multimédia hors ligne et en ligne) sur la période 1995 - 2005, avec une attention particulière pour les revenus des industries de programmes. Elle permet de dégager quelques tendances fondamentales pour le secteur audiovisuel dans l'Union européenne:

a) Croissance globale forte

· L'audiovisuel constitue un secteur en forte croissance marqué par l'augmentation des dépenses directes des ménages par rapport aux autres types de revenus (publicité, redevance): pour les pays étudiés, la croissance du revenu global du secteur est estimée en moyenne à 69% sur la période, la part des dépenses directes des ménages passant de 33% à 48%.

· Les produits et services les plus innovateurs, notamment la télévision transactionnelle et le multimédia devraient contribuer significativement à cette croissance, principalement dans la période 2000 - 2005: il s'agit bien d'une extension des marchés audiovisuels et non pas d'un phénomène de substitution.

b) Un potentiel de croissance des revenus des industries européennes de programmes

· Les industries européennes fournisseurs de contenus audiovisuels devraient augmenter leur part des revenus de ce marché en forte croissance: leur part du revenu total du secteur passerait de 28% en 1995 à 30% en 2005, soit un revenu en croissance de 55 % sur la période quoique encore très minoritaire sur leurs propres marchés.

· Le marché de la télévision en clair restera déterminant pour les fournisseurs de contenus audiovisuels puisqu'il devrait encore représenter 65% de leurs revenus en 2005 (contre 85% en 1995) dans un marché globalement en forte expression.

· La progression en part de marché des fournisseurs de contenus européens serait particulièrement marquée sur les autres marchés que la télévision en clair (cinéma, vidéo, télévision à péage et transactionnelle, multimédia). Dans ces secteurs où le marché est largement dominé par les produits américains, la part des produits européens pourrait, à politique constante, passer de 13% en 1995 à 21 % en 2005.

c) Un défi pour les industries européennes de programmes

· Il y a en Europe une formidable réserve de "consommation audiovisuelle". Pour pleinement tirer profit de ce potentiel de croissance, les industries européennes de programmes audiovisuels doivent renforcer leur compétitivité, notamment en développant le marketing et les politiques de marques, en réalisant des économies d'échelle notamment dans la distribution ainsi qu'en développant la commercialisation internationale des produits.

· Les nouveaux produits et services nécessitent également le développement de certains savoir faire, notamment en matière de localisation linguistique et culturelle, d'exploitation des archives, d'intégration et de gestion des droits.

II.2 Un vecteur culturel essentiel et un phénomène sociétal

En tant que vecteur culturel les industries audiovisuelles, tant du coté de la diffusion que de celui de la production, jouent un rôle primordial. Leur rôle dans le développement de nos sociétés est également essentiel.

Un Européen passe en moyenne plus de 3 heures par jour devant sa télévision et un enfant y consacre autant de temps qu'à sa scolarité.

Préserver et développer les acquis de modèle européen de société passe par une meilleure exploitation des capacités de l'audiovisuel comme mode majeur de communication, de transmission de l'information et des connaissances et de formation des identités.

II.3 Des enjeux considérables

Les enjeux industriels :

· Profitant de l'accroissement de la demande de contenus audiovisuels, l'industrie européenne doit pouvoir accroître la part des produits et oeuvres européennes sur son propre marché;

· Pour faire face à la globalisation du marché, l'industrie européenne doit considérablement développer la présence de ses produits et services hors de ses frontières, particulièrement sur les marchés émergents des PECO, d'Amérique du Sud et d'Asie;

· Pour répondre à la diversification de la demande, l'industrie européenne doit rapidement intégrer les nouvelles technologies, développer de nouvelles applications et de nouveaux contenus et s'assurer une position concurrentielle sur les marchés de demain.

· Pour faire face à ces enjeux, l'industrie européenne peut s'appuyer à la fois sur des groupes de communication puissants (4 groupes de communication européens figurent parmi les 10 premiers groupes mondiaux) et sur un tissus de PME à fort potentiel créatif. De même, la diversité de nos langues et de nos cultures, longtemps perçue comme un handicap, peut se révéler un atout dans l'environnement audiovisuel de demain.

Pour autant, beaucoup reste à faire pour renforcer la compétitivité de nos industries et réaliser le plein potentiel sociétal de l'audiovisuel.

Les enjeux culturels et sociétaux:

· Refléter la diversité culturelle n'est pas seulement une exigence de la construction européenne mais une condition du succès des oeuvres et services audiovisuels. Par ailleurs, le respect de la diversité linguistique constitue une condition essentielle à l'accès de tous les citoyens à l'information et à la culture.

· Contribuer à la diffusion et à la mise en valeur, dans leur diversité, des cultures européennes à l'extérieur de l'Union et exploiter la capacité de l'audiovisuel à être un puissant moyen d'intégration et de dialogue au sein de la Grande Europe. Une attention particulière devant être portée au développement des échanges et de la coopération avec les PECO.

· Favoriser la pleine exploitation du potentiel des services audiovisuels -notamment des nouveaux services- pour la formation et l'éducation des citoyens en accordant une place essentielle au développement de l'éducation des jeunes à l'image et en tenant compte de l'impact des images sur les enfants.

· Préserver un équilibre entre la valeur culturelle et commerciale de certains types de contenus (grands événements sportifs, collection des musées et des bibliothèques,...).

III. Nouvelles priorités de la politique audiovisuelle à l'horizon 2000

Si les acquis de la politique audiovisuelle marquent déjà une mutation sensible dans les structures et les comportements du secteur légitimant ainsi la poursuite et le renforcement des actions engagées, les nouveaux défis de l'ère numérique mettent en lumière certaines faiblesses persistantes qui nécessitent une réponse appropriée autour de quatre axes prioritaires:

· L'intégration des nouvelles technologies d'information et de communication dans les processus de production et d'exploitation des contenus européens (en tirant profit de la convergence technologique que connaissent les industries de l'audiovisuel, des télécommunications et de l'édition) à travers le numérique.

· Le renforcement de la compétitivité et de la présence de l'industrie audiovisuelle européenne sur le marché mondial.

· La valorisation de la diversité culturelle et du potentiel sociétal du secteur audiovisuel.

· La prise en compte de l'intérêt général et du modèle européen de société dans ce secteur dans l'élaboration et l'application des instruments communautaires tant financiers que juridiques.

IV. Nouvelle phase de consultation et d'analyse

Les instruments de la politique audiovisuelle d'aujourd'hui étant désormais opérationnels, il est nécessaire de songer déjà aux grandes lignes ce cette politique demain en tenant compte qu'un considérant de la nouvelle directive "télévision sans frontières" note l'engagement pris par la Commission à soumettre un Livre Vert ciblé sur les aspects culturels des nouveaux services audiovisuels et d'information pour compléter le Livre Vert sur La Protection des Mineurs et de la Dignité humaine. Un processus de consultation et d'analyse doit donc s'engager. La Commission co-organisera avec la Présidence Luxembourgeoise en novembre prochain un séminaire de haut niveau sur la radiodiffusion numérique. En outre, je suis en contact avec les autorités britanniques au sujet de la possible tenue de nouvelles "Assises" de l'audiovisuel à Londres au printemps 1998 (la Commission a déjà participé à des initiatives semblables à Paris en 1989 et à Bruxelles en 1994). Certaines des conditions nécessaires sont donc réunies pour que nous posions les jalons d'une nouvelle politique audiovisuelle à l'horizon de l'an 2000. Pour approfondir l'analyse et afin de dégager des orientations concrètes, j'ai l'intention de créer un groupe de réflexion de haut niveau. Composé de personnalités indépendantes, reconnues pour leur maîtrise professionnelle des problématiques du secteur audiovisuel, ce groupe sera présidé par moi-même en tant que Membre de la Commission ayant dans ses attributions la politique audiovisuelle. Il aura pour mandat d'identifier des orientations politiques répondant aux enjeux identifiés plus haut. Il devra notamment répondre aux questions suivantes:

La technologie numérique va transformer le paysage audiovisuel européen. Comment l'industrie européenne de production de contenus (cinéma, télévision, multimédia) peut-elle tirer partie de ces mutations? Comment les autorités publiques au niveau européen et national, peuvent-elles contribuer à relever les défis industriels, culturels et sociétaux? Comment prendre en compte l'intérêt général, notamment les considérations éthiques, dans le nouveau paysage audiovisuel afin de préserver le modèle européen de société?

Les réponses à ces trois questions à la fois très ciblées et couvrant l'essentiel des enjeux, seront vitales pour le développement de notre politique audiovisuelle à l'horizon 2000.

Le groupe se réunira très rapidement après la rentrée du septembre avec pour mission de remettre son rapport en février 1998. Son travail contribuera à l'élaboration de propositions que j'ai l'intention de soumettre au Collège au cours du 2e semestre 1998. Bien entendu, je tiendrai le Collège régulièrement informé de l'avancement des travaux.

(1) Directive du Conseil 89/552/CEE et COM(95)86.

(2) Décisions du Conseil du 10 juillet 1995 (95/563/CE) et du 22 décembre 1995 (95(564)CE).

(3) Proposition de décision du Conseil du 14.11.95 (COM(95)546 final).

(4) COM(96)483 final.

(5) Directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil.

(6) Cependant, la directive "télévision sans frontières" ne saurait constituer à elle seule l'entièreté du cadre juridique communautaire nécessaire à l'établissement et au fonctionnement de l'espace audiovisuel européen. Ainsi a-t-elle été complétée dès 1993 par l'adoption de la directive "relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble" (93/83/CE) dont la transposition est actuellement en cours dans les Etats membres sous le contrôle des services de M. Monti. La proposition de directive relative à la protection juridique des services à accès conditionel va dans le même sens.

(7) SEC(97)1203.

(8) L'Europe compte aujourd'hui 250 chaînes de télévision, leur nombre ayant triplé depuis 1989. Le développement de la diffusion numérique pourrait multiplier ce nombre par un facteur de dix.

(9) NORCONTEL "Economic Implications of New Communication Technologies on the audiovisual markets"May 1997. Summary published in the Financial Times of 17/6/1997.